Le droit et la politique entourant les produits de « lait » à base de plantes
Vous êtes vous déjà demandé pourquoi, au Canada, le lait de soya, d’amande, de riz ou à base d’une autre plante est étiqueté en tant « boisson »? Il est possible d’argüer en effet que « boisson » a une connotation moins nutritive que « lait », tout comme une « boisson de fruits » semble moins nutritive qu’un jus de fruits. Au cours des derniers mois, plusieurs débats ont eu lieu quant à cette terminologie et de ce fait, se sont retrouvés devant les cours et les organes législatifs américains et européens.
En juin, la Cour européenne de justice a rendu son arrêt dans le cas Verband Sozialer Wettbewerb eV c TofuTown.com GmbH. La Cour y a conclu que le terme « lait » ne peut être utilisé que pour les produits laitiers et ne peut l’être pour les produits à base de plantes, même si l’étiquette inclut ce terme accompagné d’autres termes indiquant qu’il ne s’agit pas d’un produit laitier, tel que « soya ». Le règlement en question dans cette décision prévoit que « La dénomination « lait » est réservée exclusivement au produit de la sécrétion mammaire normale, obtenu par une ou plusieurs traites, sans aucune addition ni soustraction ».
Le demandeur avance que l’utilisation par TofuTown de termes tels que « fromage végétal » constitue de la concurrence déloyale. Tofutown, pour sa part, met de l’avant que « la façon dont le consommateur comprend ces dénominations s’est considérablement modifiée ces dernières années », et que la compagnie n’utilise ces termes qu’accompagnés d’autres identifiant clairement le produit comme étant à base de plantes.
En janvier dernier, le Dairy Pride Act, ou le Defending Against Imitations and Replacements of Yogurt, Milk, and Cheese To Promote Regular Intake of Dairy Everyday Act, fut introduit au Sénat américain, dans lequel il est actuellement référé au Committee on Health, Education, Labor, and Pensions, ainsi qu’à la Chambre des Représentants, dans laquelle il est référé au Subcommittee on Health. L’article 2, paragraphe 6 de ce projet de loi affirme que les produits à base de plantes étiquetés avec le terme « lait » sont trompeurs pour le consommateur.
Évidemment, cette affirmation est contestée au sein de nombreux forums. En mai 2017, dans le jugement Cynthia Cardarelli Painter c Blue Diamond Growers devant la US District Court for the Central District of California, la cour a affirmé que par l’utilisation du terme « lait d’amande », même le consommateur « le moins sophistiqué » saurait instantanément quel type de produit il achète.
Marion Nestle, jusqu’à tout récemment Professeure de nutrition, études alimentaires et santé publique à la New York University, ainsi que l’auteure du populaire ouvrage Food Politics: How the Food Industry Influences Nutrition and Health, a affirmé sur le sujet que cela concerne avant tout une question d’avantage commercial.
Au Canada, l’article B.08.003 du Règlement sur les aliments et drogues (RAD) prévoit que le lait « doit être la sécrétion lactée normale des glandes mammaires de la vache, genre Bos ». L’Agence canadienne d’inspections des aliments (ACIA) affirme qu’« Afin de respecter l'exigence liée au nom usuel, le terme « lait » fait uniquement référence au « lait » normalisé à l'article B.08.003 du RAD. ».
Est-ce que les normes changeantes de consommation, c’est-à-dire une baisse de la consommation des produits laitiers et une hausse de la consommation des « laits » à base de plantes et leurs produits connexes, déclencheront un débat similaire relativement à l’étiquetage de ces produits au Canada? Il est possible de se questionner quant à savoir si l’objectif de la prohibition de l’usage du terme « lait » pour les alternatives à base de plantes au lait de vache en est uniquement, ou même réellement, un de protection du consommateur. Il est intéressant de noter que le Oxford Dictionary décrit le lait comme étant un fluide sécrété par les mammifères femelles afin de nourrir leurs enfants, mais également alternativement comme le jus blanc de certaines plantes.
Dans tous les cas, advenant que la réforme du Guide alimentaire canadien élimine en effet les produits laitiers en tant que catégorie, les « laits », « crèmes » et « fromages » à base de plantes feront certainement d’autant plus concurrence avec les produits de « sécrétion lactée normale des glandes mammaires de la vache ».
Sabrina Tremblay-Huet est candidate au doctorat et chargée de cours à la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke.