Assurer notre sécurité alimentaire : l’importance d’une réforme de l’assurance agricole québécoise

Pour la plupart d’entre nous, se trouver une police d’assurance est une nuisance mineure. Cependant, pour les agriculteurs du Québec, cette tâche mondaine peut devenir un véritable cauchemar. Les primes d’assurances ont augmenté de façon spectaculaire en quelques années seulement, et plusieurs fermiers peinent à se faire assurer du tout. Pour ces derniers, il suffirait d’un incendie, une inondation, ou d’une intempérie pour mener certaines fermes à déclarer faillite. En effet, un seul incendie de grange peut entraîner des pertes de plusieurs millions de dollars en bâtiments et équipement, en plus de la perte d’animaux y résidant. En France, où les agriculteurs vivent une expérience similaire, une nouvelle loi a été adoptée en février de cette année pour réformer l’assurance agricole. Le gouvernement du Québec devrait songer à prendre une mesure similaire pour assurer la viabilité économique de son secteur agricole et protéger les moyens de subsistances de ses fermiers.

 

Une hausse de primes jugée « inquiétante »

Pour se faire assurer, les agriculteurs du Québec doivent normalement se tourner vers le secteur public ainsi que vers les compagnies d’assurance privée. Le gouvernement subventionne certains types d’assurances par l’intermédiaire de la Financière agricole du Québec (« Financière »). La Financière offre des programmes d’assurances collectives et individuelles. Par exemple, le Programme d’assurance récolte offre des protections individuelles ou collectives, et permet aux agriculteurs québécois d’assurer toutes leurs cultures, même celles qui se retrouvent en zone à haut risque d’inondation. Il s’agit d’un programme à frais partagés entre les producteurs et le secteur public : 40% des frais sont assumés par les producteurs et 60% par les fonds publics. Les agriculteurs se tournent vers le secteur privé pour d’autres types d’assurances, tel l’assurance sur des bâtiments ou de l’équipement, ainsi que l’assurance-incendie.

Par contre, les producteurs du Québec subissent des hausses importantes du coût de leur police d’assurance privée. Un sondage effectué par l’Union des producteurs agricoles (« UPA ») dévoile que 20% des répondants ont subi des hausses « excessives » de leurs primes d’assurances, c’est à dire une hausse de plus de 14%.  Plusieurs agriculteurs peinent à faire assurer leurs installations : 6% des répondants ne sont pas assurés du tout.  C’est une situation que l’UPA qualifie d’« inquiétante ». Du côté public, la Financière reconnaît qu’elle aura aussi peut-être besoin d’hausser le prix de ses couvertures dans le futur.

Ces primes élevées causent un stress financier important aux agriculteurs. Les récoltes varient d’une saison à l’autre, et il arrive souvent d’avoir des récoltes infructueuses. Lors de saisons moins profitables, plusieurs agriculteurs peuvent déjà avoir des problèmes de liquidité. La hausse du prix de la police d’assurance est un coût additionnel à débourser lorsque le budget est serré. Les agriculteurs qui ne sont pas assurés, quant à eux, vivent avec une épée de Damoclès par-dessus la tête. De plus, ce comportement de la part des compagnies d’assurance dissuade la relève agricole car il est quasiment impossible pour une personne qui n’a pas encore d’assurance de se faire assurer.

 

Des causes multiples et compliquées

Les changements climatiques sont les premiers à être montrés du doigt pour expliquer la hausse des primes d’assurances. Les changements climatiques causent déjà plus de sécheresses et d’inondations, et ces catastrophes naturelles coûtent de plus en plus cher aux assureurs. Selon le Bureau d’assurance du Canada, les assureurs déboursaient en moyenne quelques centaines de millions de dollars par année au début des années 2000 en raison des changements climatiques. Ce chiffre a dépassé le milliard de dollars par année aux cours des dernières années, avec une année record de 5 milliards de dollars en 2016. Au Québec seulement, les inondations du printemps 2019 ont coûté près d’un million de dollars aux assureurs. En Colombie-Britannique, les inondations de novembre 2021 furent le phénomène météorologique le plus coûteux de l’histoire de la Colombie-Britannique. En tout, ces inondations ont causé la mort de plus de 700 000 animaux, et ont provoqué au moins 450 millions de dollars de dommages, sans tenir compte des dommages massifs causés aux infrastructures publiques ni des pertes non assurées.

Plusieurs autres facteurs expliquent aussi la hausse de prime, selon le même rapport de l’UPA. Certains assureurs affirment avoir maintenu les primes trop basses pendant une longue période, alors qu’ils étaient sollicités à débourser pour un nombre croissant de réclamations. D’autres facteurs importants incluent les coûts des matériaux et de la main d’œuvre, qui rendent le coût de la reconstruction de bâtiments endommagés beaucoup plus grands. De plus, le secteur agricole n’est tout simplement plus rentable pour plusieurs assureurs, car les réclamations sont trop importantes. Plusieurs assureurs font alors le choix de se retirer d’un secteur particulièrement à risque, ce qui fait en sorte que moins de compagnies se partagent un risque plus élevé, et doivent ainsi hausser le prix de leurs primes.

 

Des recours juridiques inefficaces

Malheureusement, les agriculteurs ont peu de recours juridiques. L’assurance n’est pas un « droit » mais plutôt un contrat de gré-à-gré :  il est permis de refuser d’assurer contre certains types de risques. Les assureurs peuvent décliner d’offrir des assurances contre certains évènements car les changements climatiques les ont rendus désavantageux. Ils peuvent aussi choisir de ne pas renouveler un contrat si ce dernier devient non-rentable. Ceci signifie que les personnes confrontées à des pertes qui ne sont plus couvertes n’auront pas de recours juridiques car le droit des assurances ne s'appliquera tout simplement pas. Il est aussi difficile d’invoquer l’assurance-responsabilité. L’assurance-responsabilité permet d’utiliser des actions en responsabilité civile telle la négligence pour récupérer ses pertes. Cependant, l’assurance-responsabilité est d’utilité limitée si les dommages sont causés par des évènements météorologiques ou les changements climatiques. Ceci s’explique par le fait que les actions en responsabilité civile exigent l’établissement d’un lien entre les activités de défendeurs et le préjudice subi par les plaignants.

Dans le cas des changements climatiques, il est difficile de cerner avec précision ces liens. Par exemple, les plaignants pourraient se tourner vers les compagnies productrices de combustibles fossiles, qui sont responsables en grande part des changements climatiques, et ainsi des évènements climatiques telles les inondations. Cependant, il est difficile de faire un lien juridique entre la pollution causée par les combustibles fossiles et un événement météorologique particulier. Ce n’est pas aussi direct que le lien entre la blessure causée par un accident d’auto et le conducteur de cette auto, par exemple. Ce problème est aggravé par le fait que la cause et l'effet des changements climatiques, dans la mesure où ils peuvent être identifiés, se produisent au-delà des frontières internationales.

Nous nous dirigeons vers un futur où le régime d’assurance privé? ne pourra pas couvrir les risques accrus de dommages matériels encourus par le secteur agricole. Ceci est inacceptable étant donné l’importance de l’agriculture pour la sécurité alimentaire et l’économie du Québec. 

 

La solution : une implication gouvernementale

L’implication du gouvernement dans les régimes d’assurances ne date pas d’hier. Au Québec, le Régime d’assurance automobile du Québec a été mis en place par le gouvernement pour indemniser les accidents sur la route, et la Commission des normes de l’équité de la santé et de la sécurité du travail est un régime public de compensations pour les blessures au travail. La Colombie-Britannique a un programme en place pour compenser les agriculteurs ayant subi des pertes causées par les désastres naturels : le Programme d'aide financière en cas de catastrophe de la Colombie-Britannique.

Le Québec pourrait s’inspirer de la nouvelle loi française qui promet une réforme de l’assurance récolte attendue de longue date. La France, comme le Québec, a subi des pertes agricoles importantes en raison des changements climatiques. Au printemps 2021, le gouvernement français a dû mobiliser un milliard d’euros pour financer les pertes causées par un gel tardif. Similairement au Québec, la France avait aussi un système d’assurance agricole partagée entre l’État et le secteur privé. Le nouveau régime d’assurance français crée un « régime universel d’indemnisation » à trois paliers. Le premier palier relève des agriculteurs, qui assumeront des pertes moindres jusqu’à un certain montant. Ensuite, le deuxième palier relèvera de l’assureur. Le texte prévoit l’adhésion obligatoire de tous les assureurs à ce programme, permettant ainsi un partage de risque et une prime d’assurance juste et abordable. Le dernier palier relève de l’État, qui déboursera des fonds publics pour répondre à des « situations de catastrophe ».

Le Québec pourrait aussi s’inspirer d’un modèle développé par l’UPA. Ce dernier examine présentement la possibilité de créer un programme d’assurance spécifiquement adapté aux agriculteurs. Le programme, selon l’UPA, serait administré par un seul courtier, mais regrouperait plusieurs assureurs. Ceci permettrait aux assureurs d’avoir accès à plusieurs assureurs sur une même police : une solution qui simplifierait les choses et permettrait un meilleur contrôle des coûts. De plus, ce programme présenterait un avantage pour les assureurs, qui partageraient le risque entres eux. Le partage de risque entres plusieurs assureurs signifie que chaque assureur individuel assume un risque moins élevé.

 

Conclusion : la nécessité d’agir

Il est haut temps que le Québec facilite la création d’un meilleur système d’assurance pour les agriculteurs. Nous nous dirigeons vers un futur où les désastres naturels sont plus fréquents et plus coûteux. Il est hautement probable que les agriculteurs du Québec subissent des dommages causés par des évènements météorologiques extrêmes non couvert par les assurances. Le droit des assurances traditionnel n’offre pas de solution adéquate aux problèmes des agriculteurs, qui vivent actuellement avec un stress financier important. Il est nécessaire que le gouvernement du Québec examine sérieusement un régime d’assurance qui peut pallier les lacunes de l’assurance privée pour assurer la sécurité alimentaire et économique de la province dans les années à venir. De plus, un tel système d’assurance subventionné par le public pourrait donner au gouvernement l’opportunité d’imposer des règlements pour les agriculteurs d’adopter des méthodes de production plus durables.

Alexandra ToutantComment