Prenons la mesure : L’émergence du droit agroalimentaire
(Ce billet constitue une traduction du billet original: http://foodlaw.ca/conference-blog/2017/9/19/the-state-of-the-field-and-area-of-practice-of-food-law-and-policy-in-canada.)
Le droit et les politiques publiques dans le domaine agroalimentaire en sont à leurs balbutiements sur la scène politique canadienne. Mais de quoi parlons-nous exactement lorsque nous parlons de droit agroalimentaire? Et en quoi ces avancées sont-elles si prometteuses pour les universitaires et les praticiens du droit?
Dans l’état actuel des choses, la gouvernance de notre système agroalimentaire, dans son étude et dans sa pratique, est morcelée. Notre système agroalimentaire fonctionne en silo. Nous étudions et pratiquons en silo. Les lois agricoles gouvernent l’agriculture; les réglementations en matière de salubrité gouvernent la salubrité de nos aliments; les règles de commerce gèrent le commerce; etc. Les facultés de droit offrent des cours dans ces différentes branches. Les avocats qui pratiquent en cabinet ou travaillent pour le ministère font de la formation continue à l’intérieur de ces lignes bien définies. Et au travers tout ça, il n’y a que très peu d’opportunités de relier ces sphères.
Heureusement, des gens tentent aujourd’hui de briser ces silos et de créer un cadre pour une pratique intégrée du droit et des politiques agroalimentaires. Il y a de nombreuses raisons qui en vaillent la peine.
D’abord et avant tout, la création d’un domaine de droit agroalimentaire permet de mettre sur pied une communauté universitaire et de praticiens qui partageront leur intérêt commun pour la gouvernance d’un système agroalimentaire canadien national se déclinant en de nombreux aspects distincts. Cela permet également de collaborer, de partager, d’apprendre et de réfléchir.
Ensuite, le développement de cette communauté créera une opportunité unique de transformer fondamentalement la manière dont nous pensons le système agroalimentaire canadien. À plus long terme, cela nous permettra également d’améliorer et de transformer les instances qui gouvernent notre système. En effet, il est aujourd’hui impératif de réfléchir et de travailler de manière à ce que le droit et les politiques publiques agroalimentaires soient le reflet systémique et holistique de sa gouvernance nationale, plutôt que d’un fonctionnement en silo.
Cette réflexion systémique et holistique nécessite l’adoption d’une vision simultanée et interactive.
Quatre axes principaux doivent être pris en considération:
1) L’ensemble de la chaîne agroalimentaire : Les intrants essentiels à la production (notamment l’eau, la terre, la biodiversité, les semences, les engrais et les pesticides, les permis et règlements, l’éducation, etc.), l’élevage des animaux, les pêches, la production maraîchère, les récoltes, le transport des animaux vers l’abattage, la transformation des aliments, la vente au détail, les services de livraison, le marketing et l’étiquetage, la consommation des aliments, la gestion des déchets alimentaires, en plus de tous les enjeux reliés au travail dans l’industrie. Autant d’étapes que questions auxquelles il faut répondre.
2) Les différents gouvernements impliqués : Différents ministères, départements et organes administratifs sont responsables d’enjeux précis. Ces divisions nuisent grandement à une gestion nationale et concertée de notre système agroalimentaire.
3) Les différents niveaux de gouvernement impliqués : Plusieurs juridictions sont impliquées dans le processus, qu’il s’agisse des municipalités, des provinces, des organes fédéraux, sans oublier les structures de gouvernance des Premières Nations. Cette multiplicité renforce le morcellement du système.
4) Les différentes instances légales : Chaque juridiction possède plusieurs mécanismes (lois, règlements, politiques et codes de conduite, organes administratifs, etc.) qui régissent une certaine portion bien définie du système agroalimentaire.
En lisant le contenu de ces quatre axes, il est possible de rapidement voir les recoupements et les points d’intersection et leurs potentiels impacts sur la nourriture offerte aux Canadiens, sur les modes de production, de transformation, de distribution, d’achat et de consommation. Nous pouvons également constater comment différentes instances et étapes peuvent avoir des conséquences considérables sur les autres maillons de cette grande chaîne, et comment une cohésion du système pourrait être bénéfique pour tous. Cette cohérence structurelle, issue d’un droit et de politiques agroalimentaires réfléchis sur le plan national, nous permettrait d’améliorer les services offerts à nos clients, en plus de faciliter le travail des universitaires et de leurs apports au modèle de gouvernance du système.
Enfin, le développement du droit et des politiques publiques agroalimentaires nous pousse à nous questionner sur les valeurs et les objectifs sous-jacents à la gouvernance d’un système agroalimentaire national. Qu’aimerions-nous voir au cœur de ce système? Comment souhaiterions-nous modifier les mécanismes de gouvernance actuels afin d’améliorer l’ensemble du système? Il est probable que chacun ait des visées différentes (un système agroalimentaire plus durable, plus juste, plus lucratif, plus sécuritaire pour les producteurs, pour les consommateurs, etc.), mais le développement d’une approche commune et concertée en matière de droit et de politiques agroalimentaires offre assurément une plateforme de réflexion permettant de trouver des solutions significatives et des outils solides.
Le deuxième colloque annuel canadien en droit et en politiques publiques agroalimentaires, Prenons la mesure, cherche à contribuer au développement de cette sphère et de ce domaine de pratique. Le colloque aura lieu à l’Université d’Ottawa du 2 au 4 novembre prochain. En plus de réfléchir aux différents enjeux, nous débuterons le processus de mise sur pied d’un système national de droit et de politiques publiques agroalimentaire afin que la collaboration puisse se poursuivre suite à l’évènement. Nous souhaitons aussi que ce blogue contribue à mettre la table pour cette initiative plus qu’ambitieuse! Nous vous invitons à mettre la main à la pâte en contribuant vous aussi à ce blogue et nous avons bien hâte de vous voir à Ottawa!
Nadia Lambek est candidate au doctorat en droit à la Faculté de droit de l'Université de Toronto et est membre du comité organisationnel de Prenons la mesure. Elle est également membre auxiliaire du corps professoral à la Vermont Law School, et co-éditrice du volume Rethinking Food Systems: Structural Challenges, New Strategies and the Law (Springer, 2014).